Coup de gueule

Bornes / VE ou le paradoxe de « l’oeuf ou la poule » appliqué à la mobilité électrifiée

Véritable sujet débat, notamment à l’échelle des grandes villes avec leur ZFE, le véhicule électrique divise. Il a ses partisans comme il a ses détracteurs, avec parfois des personnes (comme moi) qui naviguent entre les deux, ni pour le tout électrique imposé, ni contre. D’ailleurs j’estime que cette nouvelle alternative vient parfaitement compléter l’offre existante : Diesel, Essence, Super-Ethanol, GPL, GNV, Hydrogène. Mais alors pourquoi les véhicules électriques font-ils couler autant d’encre ?

Si le débat se cristallise, ce n’est pas tant à cause de la technologie elle-même, mais parce que les politiques s’en sont mêlés, et ça, c’est toujours ce qui nous mène droit dans le mur en France. Avec dans l’idée d’imposer le véhicule électrique dans les villes à plus ou moins long terme pour atteindre des objectifs « climat » (baisse des émissions de CO2), les politiques se sont complètement déconnectés de la réalité de terrain. Une voiture électrique en ville, OK, mais où est-ce que je la charge ? Et alors, à cette question, pour le moment il n’y a essentiellement comme réponse que des vaines promesses, des prises de tête ou du système D.

Essai Peugeot e-208 (2019) - Electrique GT

Un sujet devenu politique, donc clivant

On pourrait dire que tout a commencé avec les premières moutures du Bonus / Malus. En favorisant les véhicules électrifiés et en sanctionnant les véhicules thermiques les plus polluants, le système de taxation français a doucement commencé à arroser les flammes d’un feu latent avec de l’huile bien chaude. Si au départ, le malus était désagréable, mais peu impactant pour une grande partie des acheteurs, il est désormais vécu comme une injustice et attise une forme de colère envers l’ennemie électrique qui lui profite d’aides, alors qu’il n’est pas toujours aussi vertueux que cela.

Le système de malus a donc été une première étincelle, mais c’est probablement l’instauration des ZFE (zones à faibles émissions) dans les grandes villes, qui a fini par mettre le feu aux poudres. Paris a attaqué en premier, en imposant la vignette Crit Air et en excluant de ses murs les véhicules les plus polluants (enfin concrètement les plus anciens, plus que les plus polluants), mais d’autres grandes villes lui ont emboîté le pas pour proposer un calendrier tout aussi inacceptable aux yeux des automobilistes (Strasbourg notamment).

Si vous pensez que les ZFE des métropoles ont pour objectif de faire rouler tout le monde en électrique (ou hybride), vous vous trompez. C’est beaucoup plus pervers, les ambitions de beaucoup de politiques locaux (et Hidalgo ne s’en cache même plus) c’est de chasser la voiture, purement et simplement des villes.

Une pénurie de bornes de recharge en ville probablement entretenue

Elles sont pourtant promises dans tous les discours politiques (surtout chez les plus « verts »), à l’échelle locale comme nationale, mais la réalité du terrain est un peu différente. Concrètement, si la France commence à être correctement maillée de bornes de recharge en tous genres, si l’on se concentre uniquement sur les grandes villes et surtout celles qui mettent en place des ZFE, il y a souvent des couacs.

J’ai beau me réjouir quand des petites communes s’équipent de bornes disponibles au public (notamment de passage), à l’échelle des ambitions nationales, je me dis que la priorité n’est pas forcément à équiper Saint-Jouin-Bruneval ou Vattetot-sur-Mer (des petites communes de quelques centaines d’habitants en Seine Maritime) face à des villes souhaitant interdire les véhicules thermiques d’ici 5 à 10 ans.

Strasbourg, ville qui s’annonçait pourtant pilote en la matière et même récompensée pour ses projets, s’est retrouvée le bec dans l’eau avec 80 bornes de recharges qui auraient dû voir le jour en 2019 et qui ne seront finalement jamais installées. L’agglomération tourne avec une 50 aine de bornes, certaines dans l’espace public, d’autres dans des parkings privés. En attendant qu’un nouvel acteur s’empare du dossier et installe effectivement de nouvelles bornes (à lire cet article du parisien du mois de juin présentant les différents rembondissements).

Il serait temps, car la ville souhaite bannir les véhicules diesel d’ici à 2025 (et une partie des essence aussi), mais comment l’imposer si d’un autre côté il est impossible de recharger une voiture électrique (ou électrifiée), si l’on ne dispose pas d’une maison individuelle avec un garage ou parking. Si plus des 80% des utilisateurs de VE actuels annoncent se recharger à domicile, c’est parce qu’il est aujourd’hui impossible de compter sur le réseau public. Poser des bornes en ville est une chose, mais les entretenir en est une autre. Vous comprendrez le problème avec cette carte de la situation à Strasbourg aujourd’hui, selon le site Chargemap :

bornes strasbourg chargemap

C’est un peu la même situation à Paris, qui avait pourtant le réseau Autolib sous la main. Il en résulte une cacophonie entre acteurs privés et politiques, mais avec comme victimes communes les usagers de véhicules électriques (BEV et PHEV). Dans des villes où une bonne partie des utilisateurs de voitures n’ont pas accès à un stationnement privé, l’accessibilité de bornes de recharge est donc cruciale.

Comment vendre une voiture électrique à quelqu’un qui n’a pas de solution pour recharger son véhicule ni à domicile ni au travail, et qui ne peut compter sur une infrastructure collective. Impossible ! Il y a donc rejet du véhicule électrique, quant aux modèles PHEV ils serviront comme greenwashing, on les achètera pour pouvoir circuler au coeur des villes et ne pas subir de malus (ou TVS), mais on ne les rechargera jamais vu la galère que c’est. Autant vous dire que tout cela est parfaitement contre-productif.

Sans bornes pas de VE et sans VE pas de bornes

Vu le coût d’installation d’une borne de charge rapide ou accélérée, les villes ne veulent pas supporter seules les investissements nécessaires, considérant que les véhicules électriques ne sont pas assez nombreux. Sauf que le développement des ventes pour les habitants des villes ne pourra se faire que si des bornes sont accessibles. Il va donc falloir compter sur des entreprises privées, mais là encore cela ne consistera qu’à déplacer le problème. On en revient à l’histoire de l’oeuf ou la poule.

Et ceci s’applique également à la technologie hydrogène, les stations distribuant de l’hydrogène et les véhicules étant coûteux, on ne les développe pas, mais tant que ces stations ne seront pas plus fréquentes, les ventes de véhicules à pile à combustible ne pourront se faire et donc se démocratiser. On le voit avec la Chine et d’autres pays, les états ont un rôle à jouer dans le développement de certaines technologies, bon ok en France on a aussi contribué à l’essor du Diesel, avec les limites que l’on connaît maintenant. Oups !

BMW full-cell hydrogène - IAA2019
ici un modèle hydrogène de bmw présenté à l’IAA 2019

Si le gouvernement comptait beaucoup sur le « droit à la prise » pour faciliter l’adoption du VE avec des installations de prises privées, c’était bien mal connaître le bordel des syndics de copropriété et l’impossibilité technique quasi systématique de pouvoir y recourir. On a d’ailleurs tous vus ces photos de rallonges électriques partant d’un étage d’un immeuble jusqu’à un véhicule garé en contrebas dans la rue (système D en cas de galère). Quant à convaincre votre employeur de mettre des prises de recharge à disposition (encore faut-il qu’il ait un parking), cela risque de se compliquer avec la notion « d’avantage en nature » en cas de gratuité, et sinon celui-ci va devoir s’enquiquiner à mettre un système à carte payant. Oui, il y a de quoi devenir chèvre avec toutes ces normes et réglementations qui ne font pas avancer les choses.

© Soufyane Benhammouda / AMAM

On en arriverait presque à la conclusion que le véhicule électrique va avant tout être accessible à des « banlieusards » vivant dans de petits pavillons, ou dans les campagnes, mais finalement les habitants des centre-villes (où il y aurait un intérêt majeur) vont se retrouver eux comme les dindons de la farce. Et d’ici à 2025 ou 2030, en grossissant le trait, ils auront eu le choix soit de quitter la ville, soit de se mettre au vélo. Joyeuses perspectives, non ?

On veut s’inspirer du modèle norvégien, mais bizarrement sans y mettre les investissements nécessaires, et on ne comprend pas pourquoi ça ne marche pas. C’est quand même une triste blague.

Quid des bornes au long cours ?

Là c’est Tesla qui a pris 5 ans d’avance sur toutes les autres marques de véhicules en développant son propre réseau propriétaire de Superchargeurs. Et clairement quitte à traverser la France en VE, c’est pour le moment avec Tesla et rien d’autre, que je dirais banco car le réseau est fiable. Cela ne veut pas dire que c’est impossible avec d’autres marques, mais ce trajet longue distance ne peut clairement pas s’improviser en l’état actuel des infrastructures de recharge. Il peut même s’apparenter à la préparation d’un roadtrip, il ne manquerait alors que le roadbook sur les cuisses.

Essai Tesla Model S 100D

Tesla a réussi à mettre en place un maillage qui se fait de plus en plus cohérent au fil du temps, même si cela restera forcément toujours un peu plus compliqué et contraignant qu’avec une voiture thermique. Ionity (qui résulte du regroupement des constructeurs premium allemands, ainsi que Ford et Hyundai) commence aussi à mailler le territoire français avec ces aires de recharge (sur autoroute), il faudra encore attendre quelques années pour pouvoir faire des traversées du territoire sans s’arracher les cheveux. Si les tarifs pour les marques partenaires Ionity permettent d’envisager des voyages longues distances à coût raisonnable, pour les autres marques, c’est la douche froide.

maps ionity
carte du site Ionity au 18/07/2020

La planche de salut du voyage en électrique ne viendra clairement pas du réseau Corri-door, avec le scandaleux exemple Izivia qui a désactivé ses bornes et qui va laisser sur la bande d’arrêt d’urgence bons nombres de véhicules électriques (notamment d’étrangers) trop confiants dans les infrastructures françaises. Finalement c’est peut-être d’entreprises privées telles que Total que pourrait venir une solution relativement neutre et avec un développement qui aurait la possibilité de se faire rapidement au sein des stations du groupe.

source : site Total

Et non la solution ne vient forcément pas de véhicules électriques proposant une autonomie aussi importante que certains diesel, cela serait une solution rassurante actuellement, mais ce n’est pas LA solution à long terme, enfin pas avec la technologie de batterie actuelle. C’est plutôt de la multiplication des points de recharge en charge rapide (50kW et plus) qu’il faut envisager, si le trajet en sera forcément plus long (par rapport à d’autres véhicules premium comme Tesla qui va encore accélérer la recharge de ses modèles), au moins elle imposerait la fameuse pause des 2h que trop de conducteurs ignorent.

Reste encore à finir l’harmonisation des types de prise de recharge des voitures et des débits qu’acceptent ces véhicules, mais c’est en bonne voie, avec une tendance qui tend à valider la prise T2 et le combo CCS comme standard.

Un débat qui va perdurer tant que l’on voudra l’imposer

Rouler en véhicule électrique devrait rester un choix de vie et non une obligation pour pouvoir accéder ou vivre en ville en disposant d’une voiture.

Vouloir imposer cette technologie, quasiment comme unique solution, ne peut pas trouver d’issue favorable, et encore moins si on n’y met pas les moyens pour créer l’infrastructure de base pour initier le mouvement. Et le faire sous couvert d’écologie avec pour objectif de baisser les émissions de CO2 est d’autant plus incohérent si la production d’électricité elle-même n’est pas décarbonée. Soyons cohérents, si l’objectif des villes est de faire baisser les émissions de CO2 au travers l’automobile, les 2 mois de confinement nous ont déjà démontré que réduire massivement la circulation n’avait qu’un impact que modéré sur les chiffres enregistrés pour les émissions. Est-ce donc là la réponse aux questions du climat ? Probablement pas, enfin pas uniquement.

eolienne
je voulais mettre une centrale nucléaire, mais c’était moins joli

Il faut bien sûr encourager la transition vers des mobilités moins polluantes, mais pas sur un coup de tête, ni sans prendre le recul nécessaire pour avoir une vision à long terme. Et ce n’est pas ce qui est initié actuellement.

L’électrification de l’automobile est pour le moment une solution qui met à la marge bien trop d’utilisateurs de la voiture (notamment tous ceux qui ne sont pas propriétaire d’un bien immobilier avec parking), on ne peut pas juste chasser les véhicules thermiques d’un coup de baguette magique. Cependant, on le constate avec les chiffres des ventes du mois de juin, la carotte est toujours plus efficace que le bâton pour faire bouger les choses, mais le temps et une transition réfléchie et raisonnée encore plus !

Bref comme pour l’oeuf et la poule, le développement des véhicules électriques et de son infrastructure doivent se faire de manière simultanée, l’hybridation servant de transition.

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Raphaelle - Miss-KW

10 commentaires

  • Personne ne vous oblige à rouler en voiture électrique, et surtout pas le gouvernement. On vous demande juste d’arrêter de participer au réchauffement climatique et à empoisonner vos concitoyens. Mais si vous préférez la marche, le vélo, le vélo à assistance électrique, et/ou les transports en commun, et le train pour l’inter-urbain, c’est encore mieux. D’ailleurs en ville, si on supprime les voitures le vélo devient parfait : plus rapide qu’une voiture, moins dangereux (une fois les voitures interdites), bon pour la santé (une fois les voitures interdites), fantastique pour le budget, etc. Et si vous avez vraiment besoin d’une voiture, merci de la prendre électrique, et d’acheter un garage pour la stationner (et recharger) car l’espace public n’est pas un parking, il n’y a tout simplement pas la place car il faut des trottoirs, les pistes cyclables, les voies de tramway, les places PMR, quelques places pour les livraisons limitées à 10 minutes, et bien-sûr des arbres, beaucoup d’arbres pour qu’on puisse encore survivre. Et si vous avez besoin d’une voiture mais les moyens d’en acheter une avec son stationnement, vous pouvez la louer lorsque vous en avez besoin. Et si le gouvernement n’a pas le courage de bouter les voitures hors des villes, les cidadins éliront des maires écologistes qui s’en chargeront…

    • On a bien compris votre propos, ce que veulent les écolos des villes, c’est ce qui s’appelle la campagne …
      à se demander pourquoi ils vont tous s’entasser dans cet espace de vie confiné et bétonné …

      Mais vous confirmez ce que je disais, les ZFE ne sont pas pour favoriser les véhicules propres, mais juste pour interdire les voitures. Vous allez vous amuser le jour où ni taxis, ni ambulance, ni pompier ni service postal, ni autre livraison ne pourra circuler en ville. Là encore le tout n’est pas de rêver un monde utopique, mais de se projeter dans une réalité concrète.

      • Vous avez raison c’est l’utopie qui domine et aussi le mépris. Tout le monde n’est pas apte à faire du vélo et les immeubles ne sont pas près pour la plupart à accueillir des prises de recharge. Quand à tout faire financer par les usagers c’ est déjà fait : les automobilistes sont des vaches à lait : TVA à l’achat, énormes taxes sur les carburants, les assurances, redevances très élevées sur le stationnement, FPS hors de prix. D’ailleurs les utopistes
        doctrinaires ne nous disent pas comment seront remplacées toutes ces recettes quand il n’y aura plus de voiture. Par une taxe sur les chaussures ?

    • Encore un qui se croit tout seul.
      Les vélos quand il pleut sont où ?????
      Et quand viendra l’hiver avec ses bonnes températures proches du zéro et un taux d’humidité exécrable, ils seront où les vélos.
      Tous des grandes bouches quand les soleil est là, après, plus personne.
      Un ancien cyclotourisme.

    • Ce que certains ne voient pas c’est que les artisans qui interviennent vont augmenter leurs tarifs ou refuser des interventions dans certains quartiers. Le vélo c’est super mais quand vous avez du matériel a transporter cela a ses limites. Moi même, j’interviens au domicile de mes clients et quand on me dis j’habite le 75001 à 75011, j’impose l’horaire qui me paraît le plus simple. Dans un avenir proche, j’envisage de refuser ces arrondissements. Forcément, s’il y a moins de concurrence, les prix augmenteront. Une classe encore plus aisée habitera le cœur des villes. C’est peut-être ce que l’on veut, l’entresoi bourgeois écolo, Pour le bohème on repassera..

  • La ville de Paris fait en effet semblant de promouvoir la voiture électrique. Les anciennes bornes auto lib ont parfois été supprimées pour réaliser à leur place des pistes cyclables ( ex rue Froidevau, Bd Vincent Auriol), d’autres ont été entièrement concédées à des loueurs d’autopartage privés. Celles qui nous restent doivent encore être partagées avec des loueurs professionnels. Où sont les bornes supplémentaires ?

  • Le débat est bien réel en France. Mais dans des pays comme les Pays-Bas ou 20% des ventes neuves sont électriques, ou mieux en Norvège, qui a dépassé les 50%, il y a des en partout et personne ne se plaint. Aussi, ces pays électrifient massivement les transports en commun et les flottes de taxi. La solution n’est-elle pas simplement: moins de polémique, plus d’action?

    En mettant sur le même pied l’hydrogene et la voiture électrique, on se trompe fortement. L’hydrogene sera toujours 4 à 5 fois plus chère au km et les stations a 1 million d’€ ne risquent jamais de proliférer, alors que la voiture électrique voit sont coût diminuer de 10% par an.

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